
Il est des matchs fondateurs qui vous lancent une carrière et la propulsent vers des sommets inespérés. C’est sans doute ce qu’on vécu trois futurs du monde français : Dugarry, Lizarazu et Zidane lors de ce quart de finale retour entre Bordeaux et le Milanc AC. Retour sur ce match inoubliable qui fait partie des grands exploits du football français en coupe d’Europe.
Pour les plus jeunes de nos lecteurs, il faut rappeler que Bordeaux fut jadis un des grands clubs du football français. Cela est sans doute un peu dur à concevoir quand on pense à la déliquescence subie par ce club ces dernières années, avec pour point d’orgue la perte du statut professionnel, sous la présidence de Gérard Lopez. Bordeaux c’est pourtant plusieurs titres de champion France (dont les plus récents en 1999 et 2009) mais aussi un maillot porté par d’illustres internationaux (Alain Giresse, Marius Trésor ou Jean Tigana)
Au-delà du palmarès, un club entre dans le cœur des Français grâce à une épopée ou un exploit mémorable et c’est bien ce que réalisa Bordeaux lors de la saison 95/96. Dans ces années antérieures à la victoire en coupe du monde 1998, le football français a pour principale référence sur la scène européenne la victoire de l’OM en 93. Le titre européen de l’équipe de Bernard Tapie sera malheureusement entaché par l’affaire VA/OM suite aux révélations de Jacques Glassmann. Le parcours européen de Bordeaux arrive donc à point nommé pour tourner la page d’un football français moribond et en quête de renouveau.
Au commencement de l’exploit : la Coupe Intertoto
La genèse de cet exploit, qui va redorer le blason du football français, commence dès l’été 1995. Bordeaux a terminé sa saison 94-95 à la 7e place et doit se battre dans les tours préliminaires de la Coupe Intertoto pour rêver d’Europe. Lorsque Bordeaux affronte en juillet le club finlandais de IFK Norrköping, il ne se doute pas qu’il commence là l’une des pages les plus glorieuses de son histoire. Bordeaux joue ces matchs européens comme une préparation estivale, pour sa saison en division 1, mais va finalement se prendre au jeu. L’équipe alors entraîné par Slavo Muslin va de victoire en victoire contre des clubs méconnus des quatre coins de l’Europe (Irlande, Finlande, Danemark, Allemagne et Pays-Bas). Il y aura certes un nul contre Helsinki mais ce parcours quasi sans faute leur permet d’enchaîner avec les qualifications de la Coupe UEFA.
L’épopée en Coupe UEFA : un but de légende de Zidane pour une qualification en quart de finale
Fort de la confiance accumulée en Coupe Intertoto, Bordeaux continue sur sa lancée et éliminent en 32e de finale les Macédoniens du Vardar Skopje (2-0,1-1) et ne trembleront pas au tour suivant contre les Russes du Rotor Volgograd (2-0,1-0). L’adversaire proposé pour les huitièmes de finale est le Real Betis dont viendront à bout les bordelais grâce à un extraordinaire but de Zidane au match retour. Un lob somptueux du rond central grâce à une demi-volée du pied gauche. Zidane dans son documentaire Comme dans un rêve raconte cet instant magique « le ballon tape une fois par terre et il m’arrive devant comme ça. Et je me dis il n’y a qu’une chose à faire. J’ai juste le moment de soulever un petit peu les yeux et en fait dans les vestiaires avant le match ils disaient que ce gardien était tout le temps avancé donc je sais pas, ça s’est fait tellement vite aussi que bon à savoir si c’est moi qui ai marqué ou qu’on m’a aidé car ça va tellement vite qu’on se dit merde comment c’est possible donc je me dis bon…Je me dis que j’ai été aidé quelque part » Il n’en fallait pas plus à cette équipe pour se rêver à un destin européen.
Ce qui n’était au début qu’une compétition entre parenthèse va finalement prendre le pas sur tout le reste de la saison à tel point que Bordeaux commence à être distancé en division 1. L’effectif n’est pas bâti pour joueur sur les deux tableaux et les efforts fournis à l’été pour la Coupe Intertoto commence à peser dans les jambes des joueurs. En février, les dirigeants choisissent donc de se séparer de Salvo Muslin et confie les rênes de l’équipe à Gernot Rohr. Cet ancien de la maison connaît bien les joutes européennes pour avoir failli éliminer la Juventus de Platini en 1985 avec…Bordeaux. Le but pour Alain Afflelou, président du club à cette époque, n’est pourtant pas de réussir un brillant parcours en Coupe UEFA mais de redresser avant tout la situation en championnat où la possibilité d’une descente n’est pas à exclure.
Le quart de finale historique face au grand Milan AC des années 90
C’est dans ce contexte que Bordeaux va affronter au mois de mars 1996 le grand Milan AC qui est alors le plus grand club du monde. Le club est présidé par un Silvio Berlusconi en pleine ascension et entraîné par un technicien, Fabio Capello, qui a fait ses preuves depuis ses premiers titres avec le club en 1992. L’effectif compte dans ses rangs les grands noms du football mondial et italien tels que Paolo Maldini, Roberto Baggio ou Alessandro Costacurta mais aussi les George Weah, Dejan Savicevic ou Zvonimir Boban. L’équipe s’appuie également sur deux français avec Marcel Desailly et le tout jeune Patrick Vieira. Le match aller à San Siro confirmera la supériorité de l’équipe italienne avec un Bordeaux défait 2 à 0 et qui semble faire un complexe d’infériorité face à l’ogre milanais. Bordeaux a une semaine pour oublier ce non match et préparer sa revanche. Pour ce faire, Gernot Rhor va préparer les joueurs à sa façon comme le rapporte le site Girondins4ever : «On s’était préparés sur le bassin trois jours avant. On avait mangé des huîtres, les membres du staff. Pour les joueurs c’était sole et riz, un repas sportif. On a fait un footing dans les bois de Lège Cap Ferret. On a monté la Dune et Jean-Luc Dogon disait ‘Coach, on va marcher, c’est trop dur… Non, on court !’ Il n’y avait pas les caillebotis, c’était le sable donc tu fais un pas et tu redescends de 50 centimètres (sourire). On a fini les étirements sur la plage, on a respiré. C’était au mois de Mars, il faisait beau, on était au calme ». Une préparation difficile à imaginer aujourd’hui mais qui apportera la sérénité nécessaire à l’exploit à venir. La stratégie pour le match quant à elle est simple, il faut marquer un but dans les 20 premières minutes et c’est ce que va arriver dès la 13e minute sur une belle action initiée par une transversale du milieu de terrain Richard pour Lizarazu. La suite ets expliquée par l’illustre latéral gauche dans le reportage de l’Equipe enquête : « normalement Richard est sur mon côté, là il était côté droit, bref il prend son pied gauche il me met une transversale magnifique, parfaite. Là je la vois arriver…Je la revois bien cette situation parce que je vois ce ballon arriver, j’ai le temps de voir mon adversaire et de me dire que ce ballon va arriver un peu entre deux donc un moment donné c’est celui qui sera le plus déterminé qui aura ce ballon. Je le vois il met des heures à arriver, c’est presque au ralenti, le ballon arrive, je fais un contrôle favorable, je pars en débordement ». Son centre trouve parfaitement l’attaquant Didier Tholot qui reprend au second poteau. Le stade peut exulter les girondins sont mis sur orbite pour aller chercher un exploit retentissant. Malgré l’euphorie au Parc Lescure, le score à la mi-temps est toujours de 1-0. Au vestiaire Gernot Rohr encourage ses joueurs « A la mi-temps j’avais dit ‘Il y a 1-0 les gars, on est dans les temps.On ne prend pas de but, ça c’est déjà réglé. Si on met le deuxième, il y aura le feu dans le stade !’ » Il ne croyait pas si bien dire et sa prédiction va se vérifier à la 64e minute. Bordeaux obtient un coup franc bien placé sur son côté gauche à quelques mètres de la surface de réparation. Zinédine Zidane va se charger de le tirer, il s’élance, son centre contourne le mur milanais puis vient rebondir sur le dos de l’arbitre, le ballon arrive finalement à Christophe Dugarry qui marque en pivot d’une frappe du gauche. Celui qui ne sait pas encore qu’il sera milanais la saison prochaine permet à Bordeaux de revenir à égalité sur l’ensemble des deux matchs. Ce but vient décupler les efforts des girondins de Bordeaux qui croit dur comme fer à leur exploit. Les joueurs cherchent à donner le coup de grâce et c’est ce qui va arriver six minutes plus tard. On retrouve les mêmes acteurs que sur le second but avec à la baguette Zidane qui remonte le terrain balle au pied depuis son côté gauche. Il choisit alors de repiquer dans l’axe, cherche une première passe en profondeur pour Tholot qui ne passe pas, mais le ballon repoussé par la défense milanaise lui revient et là le meneur de jeu tente un tacle désespéré pour Dugarry qui expédie une frappe en pleine lucarne sous la barre pour le 3 à 0 ! Son doublé reste parmi les chefs d’oeuvre de sa carrière lui qui déclarera des années après sur RMC que ce « match a changé [sa] vie et [sa] carrière » Les milanais sont eux KO debout et ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Les joueurs ont été suffisant avec un échauffement bâclé et une attitude désinvolte sur le terrain. Milan tentera bien un sursaut d’orgueil dans les huits minutes d’arrêts de jeu mais pour aussi interminables soient-elles Bordeaux ne lâchera rien, l’exploit est réalisé ! La suite est restée dans les annales : des joueurs qui font un tour d’honneur, Zidane en pleur, une victoire fêtée allègrement en boite de nuit à Bordeaux, la triple prime accordée par Alain Afflelou à son équipe,…Une soirée inoubliable pour un Bordeaux qui avait déjà atteint son Everest alors qu’il restait encore deux tours pour gagner la coupe.
La désillusion de la finale face au Bayern Munich
Bordeaux parvient à se remettre de ses émotions et bat en demi-finale les tchèques du Slavia de Prague. La finale arrive au mois de mai contre le Bayern Munich de Franz Beckenbauer. Le match aller est perdu là encore 2-0 avec l’absence du duo Zidane-Dugarry suspendus suite à leur carton jaune. Pour le match retour le Bayern ne fera pas la même erreur que Milan en sous-estimant son adversaire. Un joueur décidément porte malheur pour les français viendra faire basculer la rencontre. Le maudit Kostadinov dans un tacle dangereux viendra découper Lizarazu à la 30e minute. Le capitaine girondin est obligé de quitter le terrain et finira la soirée à l’hôpital tandis que Kostadinov s’en sortira sans le moindre carton. Dès lors, le match n’a plus du tout la même physionomie. Le miracle d’une nouvelle remontada ne se produira pas et l’épopée bordelaise s’arrête sur cette dernière marche sans doute un peu trop haute pour eux.
L’après Bordeaux-Milan : une épopée sans lendemain ?
Après une telle épopée, Bordeaux aurait pu capitaliser sur ce magnifique parcours mais c’est tout l’inverse qui se produisit. Le trio magique qui avait tant brillé, composé de Lizarazu, Dugarry et Zidane, parti vers de nouveaux horizons. Si Zidane explosa à la Juventus, Dugarry ne trouva lui jamais le succès à l’étranger tant à Milan qu’à Barcelone et Lizarazu se relança totalement au Bayern Munich après un an délicat à Bilbao. L’entraîneur Gernot Rohr ne poursuivit pas non plus l’aventure et alla exercer ses talents quelques années après à Créteil. Enfin, pour ce qui est des dirigeants Alain Afflelou passa la main à un membre du conseil d’administration encore inconnu du grand public, un certain Jean Louis Triaud, viticulteur de son état. Une nouvelle page s’ouvrit avec de nouveaux joueurs qui feront eux aussi l’histoire du club tels que Micoud ou François Grenet. L’histoire du foot ne manque pas d’exemple de ces clubs qui, après une épopée glorieuse, ont dû tout reconstruire. Pensez par exemple au Monaco de Didier Deschamps qui après leur finale en ligue des champions face à Porto perdit ses meilleurs joueurs tels que les Rothen, Giuly, Morientes, etc…C’est le prix à payer d’une épopée qui fait de vos meilleurs joueurs une des cibles prioritaires des plus grands clubs européens. Et c’est là une fatalité à accepter car si ces épopées sont inoubliables c’est aussi parce qu’elles représentent souvent le dernier baroud d’honneur d’une équipe ayant atteint son apogée et qui ne pourrait que décevoir par la suite.
Bordeaux-Milan c’est l’exploit français dans toute sa splendeur celui auquel personne ne croit et qui renverse l’ordre établi. Pour entrer à jamais dans le coeur des supporters, il n’y a pas mieux que ces victoires à la David contre Goliath. Les remontadas font partie de l’histoire de la coupe d’Europe de football et viennent rappeler que ce sport n’est jamais aussi beau que lorsqu’il déploie sous nos yeux un impensable dénouement.