12 juillet 1998, la France s’embrase d’une liesse populaire inoubliable. La foule est dans la rue et les Champs-Elysées inondés de supporters. L’ivresse d’une victoire, que beaucoup jugeait impossible, se déferle sur le pays dans une sidération générale. Le peuple français est à l’unisson autour de son équipe de football « black, blanc,beur » championne du monde. Dans ces moments de joie indicible, une déclaration viendra mettre une ombre au tableau.
Celle-ci a lieu quelques minutes après le coup de sifflet final lorsque les journalistes commencent à recueillir les premières déclarations des nouveaux champions du monde. Un journaliste arrive à se faufiler entre les étreintes de joie partagé par Aimé Jacquet et son staff. Le micro est tendu et alors que le sélectionneur national s’apprête à repartir cette dernière question est posée : « Aimé pardonnez-vous au journaliste qui vos ont critiqué ? ». Le regard se fige et s’obscurcit puis sans plus attendre Aimé répondra d’un « non je ne pardonnerai jamais. Jamais je ne pardonnerai ». Au milieu de joueurs ivres de bonheur, ces mots détonnent. Ils viennent pourtant du fond du cœur, d’un cœur meurtri par des années de critique.
Que même dans un moment de bonheur intense, comme celui du 12 juillet 1998, Aimé Jacquet puisse répondre ainsi en dit long sur la souffrance emmagasinée durant sa tâche de sélectionneur de l’équipe de France. Quelles ont donc été ces critiques pour lesquelles Aimé Jacquet a gardé une rancœur éternelle envers le journal l’Equipe ? Il faut se replonger dans le contexte médiatique de l’époque pour comprendre cette diatribe de Aimé Jacquet envers le journal référence en France.
Des attaques moins sur le technicien que sur l’homme
Pêle-mêle voici un florilège des critiques subies par le sélectionneur des champions du monde : « »Mourir d’Aimé », « Jacquet le désenchanteur », « brave type qui émet des soupirs », « c’est à désespérer de lui et de tout », « du grand Mémé qui accumule bourde sur bourde » et le fameux « Et maintenant on joue à 13? » suite à la liste de 28 joueurs sélectionnés en amont de la liste des 22. Dans ces quelques lignes, on perçoit l’ambivalence des critiques du journal qui attaque certes le projet sportif mais peut-être plus encore l’homme. C’est en tout cas cela qui est reproché par Aimé Jacquet aux journalistes de l’Equipe : des attaques ad personam sous forme de mépris pour l’homme à l’accent provincial.
Des critiques sportives pourtant recevables
Suite à la victoire des bleus, l’empathie envers Aimé Jacquet a amené à porter un regard sévère envers ses critiques. Cependant, sur le fond ces critiques n’étaient-elles pas partagées par d’autres observateurs et supporters ? Il faut se rappeler qu’avant cette victoire du 12 juillet 1998 peu croyait en cette équipe et les défenseurs de Jacquet n’était pas légion. Les critiques pouvaient être recevables car le fond de jeu de l’équipe n’était pas toujours convaincant. Il existait certaines difficultés offensives et le onze type peinait à se dégager. Il faut voir aussi dans ces critiques le traumatisme de 93 qui était encore dans l’inconscient collectif et dont le souvenir pouvait pousser à un pessimisme exacerbé.
Aimé Jacquet lui ne trouvera aucune circonstance atténuantes au journal l’Equipe et ira même plus loin en qualifiant les journalistes de « voyous, irresponsables, malhonnêtes et incompétents » et de détenteurs du « monopole de l’imbécillité ».
Un procès en guise d’épilogue
La hache de guerre ne sera jamais véritablement enterrée entre les deux parties et l’affaire ira même jusqu’au tribunal. L’Equipe poursuivra Aimé Jacquet pour injures publiques qui avait qualifié les journalistes de « gens infects et lâches ». Il sera relaxé par le tribunal correctionnel de Paris qui considèrera que les propos d’Aimé Jacquet à l’encontre des deux journalistes du quotidien l’Equipe et de ce journal « étaient néanmoins justifiés et proportionnés eu égard à la provocation dont il avait été l’objet » en 1998 par les plaignants.
Une telle affaire possible serait-elle dans le contexte actuel ?
Si on compare le paysage médiatique des années 2000 à ce qu’il est aujourd’hui, on verra que celui-ci n’est plus du tout le même. Là où un journal comme l’Equipe régnait autrefois en maître sur les informations sportives il est en 2025 concurrencé par pléthore de médias. La presse écrite dont l’audience s’effrite affronte désormais les talk-show de foot à la radio, les podcasts, les chaînes Youtube ou encore les réseaux sociaux où chacun y va de son commentaire. Quoiqu’on pense de cette évolution, elle amène un pluralisme dans l’opinion et Aimé Jacquet aurait plus facilement trouver des défenseurs et l’Equipe des contradicteurs à leurs articles.
L’exemple des critiques dans la musique ou le cinéma : des cas similaires ?
Si l’affaire Aimé Jacquet a fait grand bruit du fait du premier titre mondial à domicile qui plus est face au Brésil elle n’est pas si unique que ça. En effet, si on s’extirpe du domaine du foot et qu’on regarde du côté du cinéma ou de la musique. Que constate-t-on ? Combien de films boudé par la critique et acclamé par le public ? Combien de réalisateur cloué au pilori pour tel navet au succès populaire ? Dans la musique, prenez l’exemple de Jean-Jacques Goldman qui a dans son double album rassemblé toutes les critiques qu’il a subies dans sa carrière. Toutes plus virulentes les unes que les autres elles lui daignaient même le droite de faire de la musique.
Ce qu’à eu à vivre Aimé Jacquet n’est donc pas unique mais lui l’a vécu à l’extrême. En effet, le football est le sport le plus populaire et les attentes pour cette coupe du monde à domicile étaient incommensurables. Il faut donc saluer le technicien, n’en déplaise à ses détracteurs, mais plus encore l’homme dont le courage n’avait d’égal que son éthique dans le travail.