Les joueurs propriétaires de club : un phénomène à se généraliser ou tendance éphémère ?

Les joueurs propriétaires de club : un phénomène à se généraliser ou tendance éphémère ?

Alors que la saison est sur le point de s’achever, le FC Caen qui n’avait pas connu le national depuis 40 ans se voit reléguer lors de la première saison des Mbappe à la tête du club..

Cette relégation au terme d’une saison chaotique vient cristalliser les critiques à l’encontre de l’actionnaire majoritaire du club.

Reprenons déjà les choses depuis le début et rappelons le contexte dans lequel s’est fait l’arrivée des Mbappe.

Lorsque l’arrivée de Mbappe à Caen fut officialisée, un fort enthousiasme se leva au sein des supporters. Beaucoup s’imaginaient déjà voir l’attaquant français distiller sa connaissance du haut niveau et transmettre son exigence dans le travail. Son arrivée était la promesse d’un projet audacieux avec de meilleures infrastructures et des recrues susceptibles de faire remonter le club rapidement en ligue 1.

Cependant, très vite, il succéda aux belles promesses des décisions incompréhensibles pour les supporters. 

La famille Mbappe à Caen : une erreur de casting ?

Le licenciement de Nicolas Seube : le péché originel

La principale d’entre toutes fut celle de se séparer de l’entraîneur Nicolas Seub, pourtant légende locale avec 16 saisons et 520 sous le maillot caennais. La décision est prise à la trêve hivernale alors que Caen est classé 16e de ligue 2. Ce choix reste encore aujourd’hui comme un caillou dans la chaussure des Mbappe, a fortiori, quand le successeur choisi fut un illustre inconnu en la personne du technicien portugais Bruno Baltaza. Ce qui devait arriver arriva, la nomination de cet entraîneur, qui n’avait strictement aucune expérience en ligue 1 ni aucun fait d’armes à son actif, suscita une levée de bouclier. Celui qui évoquait dans sa première conférence de presse la qualification européenne aura finalement laissé sa place à Michel Zakarian au bout de 7 matchs seulement.

Outre le choix du coach, les dirigeants se sont aussi trompés dans la gestion du mercato des joueurs.

Garder des joueurs contre leur gré : le cas Alexandre Mendy

Au soir de la défaite 4-2 contre le Paris FC, l’attaquant de Caen ne mâcha pas ses mots : « Comme d’habitude, on fait des erreurs, ça nous coûte le match », concéda-t-il sur beIN Sports. « On sait qu’il y a de la qualité en face. C’est à l’image de notre saison. Je parle pour ma part mais quand on démarre une nouvelle saison pas dans la bonne énergie – tout le monde sait ce qu’il s’est passé pendant ce mercato pour plusieurs joueurs, c’est ce que ça donne aujourd’hui, On va se battre jusqu’au bout mais on récolte que ce que l’on sème. »

Pour qui sait lire entre les lignes, cette déclaration reflète le désarroi d’un joueur qui lors du dernier mercato se voyait partir en Angleterre et qui a finalement été retenu contre son gré par la nouvelle direction. Le rêve de poursuivre sa carrière outre-manche tué dans l’œuf, Alexandre Mendy est aujourd’hui loin de ses standards habituels. Pour lui qui tournait à 22 buts lors de ses trois dernières années à Caen, le voici cette saison à un ratio famélique de 8 buts en 25 matchs. C’est assez ironique que Mbappe, qui a lui aussi été retenu à tort par le PSG, n’ait pas su anticiper le contrecoup qui existe chez tout joueur qui se croyait parti mais reste finalement dans son club non sans amertume.

Dans cette saison qui tourne au vinaigre pour Caen, Mbappe se résolut cahin-caha à venir sur place donner de sa personne. Mieux vaut tard que jamais me direz-vous ? Certes mais sa venue ne calma pas les mécontentements et provoqua même l’ire de certains supporters qui voyait dans cette démarche peu de sincérité mais beaucoup de calcul. A la question de : Caen c’est quoi le projet peu sont en capacité d’y répondre et l’avenir semble encore plus fou avec cette descente qui ne l’était déjà. Le clan Mbappe aura-t-il les reins assez solides pour renflouer le club en cas de relégation et saura-t-il relancer le projet sportif ?

Si l’avenir répondra à ces questions, on peut d’ores et déjà se demander quel était l’intérêt pour Mbappe de lancer dans une telle aventure ?

Si on peut s’interroger sur les choix stratégiques de la famille M’Bappe, il faut plus largement analyser cette nouvelle tendance de voir des joueurs devenir propriétaires de club au cours de leur carrière. Ainsi, parmi ses coéquipiers du Real Madrid, Vinicius s’est lui aussi lancé dans l’achat d’un club en devenant actionnaire majoritaire du FC Alvera, club de deuxième division portugaise.  

Si la tendance reste minoritaire et semble réservée aux seules stars du foot, on peut se demander quels sont les enjeux pour un joueur en activité d’aller investir dans un club ?

Un ego-trip : on entend toujours que pour réussir dans le foot, il faut avoir de l’égo. Dans ce milieu où vous êtes en concurrence depuis votre plus jeune âge, vous ne pouvez résister à la pression sans une énorme confiance en vous. Cela se traduit par le goût du challenge et l’envie de se surpasser. C’est peut-être ce qui guide ces joueurs qui non rassasiés de trophées cherchent un nouveau terrain de jeu pour s’accomplir.

Préparer l’après-carrière : on le sait la fin de carrière est souvent vécue comme une petite mort pour le sportif de haut niveau (cf : notre article sur les reconversions).  Le fait d’investir dans le rachat d’un club représente un espoir de vivre de nouveau les émotions que procure la pratique du sport de haut niveau. Sans être sur le terrain, le président précédemment joueur de foot va redevenir acteur d’une équipe et vivre l’adrénaline de la compétition. L’exemple parfait de cela serait David Beckham à Miami qui a créé son club, s’occupe des transferts et développe le foot aux Etats-Unis à travers sa franchise.

Se mettre une pression inutile : combien de fois les joueurs ne sont-ils pas plaints de critiques acerbes à leur égard ? Combien n’ont pas considéré que cela allait trop loin et touchait leur famille ? On peut entendre ou pas cette posture mais difficile de nier la pression inhérente au métier de footballeur professionnel. Alors pourquoi diable aller s’exposer davantage en devenant actionnaire majoritaire d’un club ? Une saison comprend toujours des hauts et des bas, vous aurez forcément un coup de moins bien alors comment gérer de front deux carrières : celle de président de club et de joueur ?

Surcharger un emploi du temps déjà bien rempli : de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les cadences infernales imposées au jouer de foot ? Prenons l’exemple de Mbappe : il va jouer la Liga, la ligue des champions, la coupe du roi, la supercoupe, la coupe du monde des clubs et les matchs internationaux. A cela s’ajoute les obligations publicitaires avec ses sponsors, les sollicitations médiatiques et enfin les engagements associatifs. Comment dans pareil emploi du temps consacrer de l’énergie pour la gestion d’un club ? Il est vrai qu’au quotidien le joueur actionnaire aura délégué la gestion des affaires courantes à des personnes de confiance. Cependant, quand vous investissez des millions, vous êtes obligés de suivre un tant soit peu l’évolution des choses pour prendre les bonnes décisions stratégiques. Et comment le faire lorsque vous êtes déjà la tête dans le guidon avec la saison à rallonge de votre club ?

Brouiller son image : l’image d’un footballeur ne tient souvent qu’à un fil. Il suffit d’une incartade ou d’une déclaration et vous avez droit à une étiquette qui vous suivra toute votre carrière. En France, on a le cas de Seko Fofana, actionnaire minoritaire de Lens avant son départ en Arabie Saoudite, dont l’image a été brouillée. Revenu dans notre ligue 1 cette saison, il a alors démissionné du conseil d’administration pour éviter tout conflit d’intérêt. Cela n’a pas empêché les supporters lensois de lui en tenir rigueur avec une banderole à son attention lors de son retour au stade Bollaert avec les couleurs rennaises. Pour Mbappe, on a vu que certaines prises de position sur des faits de société avait suscité la polémique. Ainsi, le risque n’est-il pas pour un joueur en activité de brouiller son image en devenant actionnaire majoritaire d’un club ? Pour Mbappe, il est à craindre que la place calamiteuse de Caen va en faire une cible de choix pour les supporters. Sa venue récente à Caen n’a pas soulevé les foules et il pourra vite devenir le bouc émissaire des mauvais résultats de Caen.

Investir à perte : le football a fait perdre de l’argent a de grand chefs d’entreprise tel que François Pinault et a même envoyé certains devant la justice à l’instar de feu Robert Louis Dreyfus. Comment des joueurs alors en pleine activité et sans expérience dans le management d’entreprise pourrait réussir là où d’illustres entrepreneurs ont échoué ? Le contexte actuel en ligue 1 n’est-il pas le pire moment pour investir avec la chute des droits TV et l’incertitude régnante en ce domaine ?

On le voit il y a peu à gagner et beaucoup à perdre pour un joueur en activité à se lancer dans l’achat d’un club. On verra à l’avenir si cette démarche fait des émules mais il est à parier que peu s’y risqueront. Pour la beauté du foot et du jeu, il est sans doute préférable que chacun reste à sa place et se concentre sur ce qu’il sait faire de mieux. Aux présidents la gestion administrative et budgétaire du club, aux directeurs sportifs la gestion de l’effectif et aux joueurs le rectangle vert.

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