Un soir de désolation qui est resté dans les annales du foot français à tout jamais. Une qualification qu’on croyait acquise. Des festivités déjà préparées. « L’Amérique » de Jo Dassin prête à résonner dans tout le stade…Et finalement, l’impossible qui se produit à la toute dernière minute. L’impression que le ciel vous tombe sur la tête. Une déflagration qui va secouer les entrailles du foot français mais qu’on présente aussi paradoxalement comme un fondement au succès de 98.
L’équipe de France dispute en 93, les éliminatoires de la coupe du monde 94 qui se tiendra aux Etats-Unis. À deux matchs de la fin des éliminatoires les bleus sont en position de force pour se qualifier. Il sont premiers avec 13 points et il leur reste deux matchs à domicile contre Israël et la Bulgarie. Or, un premier joker va être brûlé suite à la défaite surprise face à Israël sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
Malgré cette contre performance, l’équipe de France a encore son destin entre les mains et l’optimisme ambiant n’est pas remis en cause, loin de là. L’équipe de France se présente donc ce 17 novembre 1993 au Parc des princes pour une soirée qui s’annonce historique mais dans le bons sens du terme, croit-on à ce moment-là. C’est simple si la Bulgarie gagne ils vont à la coupe du monde mais tout autre résultat qualifie l’équipe de France.
Sur le terrain des noms qui feront la gloire du foot français par la suite (Deschamps, Desailly, Blanc, Petit,etc…) mais aussi d’autres qui seront exclus des succès à venir (Cantona ou Ginola). À la tête de la sélection, Gérard Houllier, un technicien respecté qui deviendra quelques années plus tard une légende de Liverpool avec un quintuplé historique. En face, la Bulgarie présente une équipe qui est classée 3e de cette campagne éliminatoire à la coupe du monde. Son onze titulaire ne présente pas de danger particulier. Et pourtant, un joueur va acquérir une réputation mondiale à l’issue de ce match, un certain Emil Kostadinov.
Kostadinov : un nom qui symbolise à lui seul le cauchemar français
Reprenons le fil de ce match maudit qui traumatisa le foot français. Les choses n’avaient pas trop mal commencée avec l’ouverture du score par Eric Cantona à la demi-heure de jeu. Mais tout de suite après Kostadinov égalise. La rencontre se crispe et règne dans le stade une atmosphère particulière. L’équipe de France est qualifiée par ce nul mais on sent le précipice jamais bien loin. Alors qu’on arrive à la 89 minute va arriver l’action de jeu qui entamera le divorce entre le sélectionneur Gérard Houillier et David Ginola. L’équipe de France obtient un coup franc situé sur le côté droit du terrain près du poteau de corner. De là naitra les controverses tactiques sur le choix qui aurait dû être fait ? Fallait-il garder le ballon plutôt que d’aller chercher un centre au second poteau ? c’est la deuxième option que choisira Ginola pour son plus grand malheur. Le centre se perd au second poteau là où il n’y a aucun joueur français. La suite va être clinique et fatale. Les bulgares tentent alors le tout pour le tout et remonte le terrain en 3 passes. Kostadinov arrive lancé sur le côté droit, il prend la profondeur, Laurent Blanc revient à toute vitesse et se lance dans un tacle pour empêcher l’irréparable. Cet espoir est vain et la frappe tendu de Kostadinov vient se loger dans la lucarne de Bernard Lama qui ne peut rien face à la puissance du tir. Ce but sonne le glas du parcours de l’équipe de France à la coupe du monde 94. La compétition n’a pas encore commencée que cela est déjà terminé pour l’équipe de France.
O rage ! O désespoir ! Œuvre de tant de jours en un tir effacé ! Paraphrasé Corneille ne suffit pas pour décrire les émotions qui tétanisent les joueurs français et son public après cette contre attaque mortifère des bulgares. Les images des joueurs en pleurs parlent d’elles mêmes. La frustration est incommensurable et c’est sans doute ce qui fera tenir ses propos de Gérard Houllier à l’encontre de D. Ginola accusé d’avoir commis « un crime contre la cohésion et l’esprit d’équipe ».
Cette déclaration continuera de faire parler d’elle des années après et on pourra débattre à l’infini sur ce choix de Ginola d’avoir centré au lieu de conserver la balle mais avec le recul n’y-a-t-il pas des causes plus profondes à ce cataclysme ?
La défaite face à Israël : premier clou dans le cercueil de l’élimination
La France aborde ce match avec la plus grande confiance qui soit. Israël n’a pas gagné un match depuis un an et demi et les bleus eux sont invaincus depuis quatre ans et demi au Parc des princes. A cela s’ajoute la victoire 4-0 du match aller. Gérard Houllier se projette déjà sur une qualification et déclare « dès que nous serons qualifié, il faudra préparer l’Amérique à chaque match ». Dans le même optimisme général, le programme du match s’intitule « Que la fête commence ! » La fête commença par un premier but d’Israël à la 21e minute auquel répondit Franck Sauzée à la 29e minute. Les bleus prirent même l’avantage grâce à un beau but de David Ginola à la 39e minute. Si on pensait la qualification acquise, Israël égalisa à la 83e minute et prient même l’avantage à la toute fin du match avec le but du 3-2 à la 90e. Alors comment expliquer cette défaite ? Gérard Houllier donne une piste en pointant du doigt Raymond Domenech alors membre de son staff pour superviser les adversaires : « Il est allé superviser Israël [..] Il n’a pas jugé nécessaire de soumettre un rapport écrit, comme d’habitude pour tout superviseur, et il m’a simplement dit quelque chose comme : « Si tu ne gagnes pas, tu es nul ! Décidément, ce Domenech est de tous les désastres de l’équipe de France…
Un vestiaire divisé par la rivalité entre Marseille et Paris
Si aujourd’hui la rivalité entre le PSG et l’OM a perdu de son sel, il n’en était pas de même dans les années 90. Au contraire, le classico made in France était à son prime en ce temps-là. Les matchs entre les deux équipes étaient après et les déclarations des différentes protagonistes loin d’être bienveillantes. Qui ne se souvient pas des tacles à la gorge de Eric Di Meco lors des matchs opposants les deux équipes ? Cette rivalité a pu contribuer à créer une scission au sein du groupe France entre les joueurs parisiens (Ginola, Guérin, Lama, Roche, Le Guen) et marseillais (Papin, Desailly, Cantona, Boli, Sauzée). À tout le moins, l’esprit d’unité et la force du collectif en ont été amoindri.
Ginola : le bouc émissaire tout trouvé ?
L’équipe de France a pour attaque dans ces années-là Cantona et Papin. Ginola alors attaquant vedette du PSG réclame plus de considération déclare en interview que « Papin et Cantona ne devraient pas jouer en équipe de France… ». Le voilà en tout cas sur le banc au coup d’envoi du match lui qui n’entrera en jeu qu’à la 69e minute. La prestation de l’équipe, bien qu’elle était qualifié avant son entrée sur le terrain, était loin d’être convaincante. Certes, les détracteurs de Ginola se demanderont pourquoi a-t-il été chercher un centre au second poteau ? Ce qui engendra le contre assassin des bulgares et le but de Kostadinov. Pourquoi ne pas avoir gardé la balle dans l’angle du poteau de corner ? Le fait est qu’après le centre loupé de Ginola l’équipe de France était en place et l’équipe Bulgare a quand même remonté tout le terrain. Les milieux de terrain n’ont pas fait le pressing pour récupérer le ballon, les défenseurs n’ont pas coupé le débordement de l’attaquant bulgare et le gardien n’a pas non plus été décisif sur le but. La défaillance sur cette action ne peut être qu’individuelle mais doit être vue comme de la responsabilité de tout un collectif. Enfin, sur le choix de centrer il faut pour comprendre Ginola appréhender son style de jeu et son état d’esprit lors de ce match. Comme on l’a dit précédemment, le joueur est frustré par son temps de jeu. Comme souvent dans ces cas-là , le joueur qui entre en jeu va surjouer pour prouver qu’il mérite sa place de titulaire. Ainsi, en centrant on peut émettre l’hypothèse que David Ginola a cherché à être décisif et à faire un geste qui le fasse sortir du lot. Il me semble pas que cela soit condamnable en soit même si le timing et la physionomie du match ne s’y prêtaient pas. Cependant, ne pas comprendre ce choix de Ginola c’est fermer les yeux sur ce qui faisait la singularité de son jeu : mélange de fougue et d’audace. Une forme insouciance qui lui a été fatale ce soir de novembre 93.
Une euphorie médiatique et populaire néfaste à l’instar de ce qu’on aura bien des années plus tard en 2002
« Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ». Il eut été bon de la part des médias de méditer sur ce bon vieux proverbe. En effet, lorsque l’on se plonge dans l’effervescence médiatique de l’époque tout laisse à penser que la qualification était acquise. Ce même engouement médiatique se reproduira pourtant des années plus tard pour la coupe du monde 2022. Ceci dit; cette euphorie des années 2000 est plus excusable car l’équipe de France sortait du doublé coupe du monde 98 et euro 2000. La France comptait aussi dans ses rangs des joueurs au palmarès bien garnis et notamment trois des meilleurs buteurs des grands championnats européens. Or, au moment de ces éliminatoires des années 90 rien ne justifiait pareille jubilation avant l’heure. L’adage selon lequel la France n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle est pied au mur est encore vérifié par cette défaite inattendue de 93.
94 : fondement du succès de 98 ?
Suite à ce fiasco, il a fallu tout rebâtir mais cette fois-ci avec des fondations solides. Pour repartir de l’avant, l’équipe de France avait besoin d’un nouveau sélectionneur. Gérard Houllier conscient de la situation ne s’est pas accroché au poste et bien lui a pris car la suite de sa carrière s’est poursuivi en club avec le succès qu’on connaît à Liverpool. Qui pouvait donc lui succéder ? Fallait-il faire table rase du passé et prendre une personne n’ayant pas vécu le traumatisme de 94 ou au contraire était-il préférable de s’appuyer sur une personne avec une expérience de cette invraisemblable défaite ? Le choix fut de repartir avec Aimé Jacquet qui faisait parti du staff technique de Gérard Houiller et qui avait connu le succès en tant que coach à Bordeaux dans les années dans les années 1980. Pour redresser la barre, il fallait une personne capable de faire une introspection sur cette défaite et comprendre les dynamiques internes à ce groupe. Dans la foulée de cette piteuse élimination, viendra l’euro 96 qui servira de ciment à Aimé Jacquet pour former l’ossature de son groupe France 98. Un des choix forts d’Aimé Jacquet sera de se passer de Eric Cantona et David Ginola pourtant au sommet de leur carrière en Angleterre. Au moment de prendre cette décision, Aimé Jacquet avait sûrement en tête le manque de cohésion criant de cette équipe de France 93. Les choix stratégiques du sélectionneur ayant contribués à la victoire de 98 émanent pour beaucoup de ce qu’il s’est passé ce soir de novembre 1993.
Selon-vous qui est responsable de cette élimination ? Pensez-vous que sans cette défaite la France aurait été championne du monde en 98 ? Dites nous tout dans les commentaires.